Contes du temps présent

Voici des contes originaux dont je suis l’auteur.

Le langage des arbres, des fleurs, des animaux est là, à portée d’oreille et il change et évolue avec la vie elle-même.

Vivifiant le sacré du verbe, le conte met en scène la société à travers ses mythes et ses croyances. D’où l’importance de contes originaux, de contes du temps présent, captés dans la  tradition des bardes : c’est-à-dire, en y amenant une dimension sacré. Car, si ce sont les mots du vent, ceux de la lune ou du soleil qui sont donnés à entendre, le conteur est comme l’arbre : les pieds bien plantés dans la terre et les bras grands ouvert. Antenne magique des mystères de la vie et de l’amour aussi. Voici pour vous quelques-uns de ces contes.

Bonne lecture !


lugh

Conte premier :

Sombre

On dit que le vent déterre les secrets, sifflant plus fort là où se cachent ceux qui doivent être révélés. Des pierres il peut toucher la plus petite aspérité. Il peut plier le haut des arbres sans les casser, leur faisant ainsi chanter les étranges histoires de leur vie d’éternité, que seuls comprennent les initiés aux mystères de la forêt. Venez écoutez le vent tout chargé des senteurs de romarin et de lavande, qui roule entre la terre et le ciel. Venez écouter le vent raconter l’histoire du prince Sombre.

Le prince Sombre n’avait pas toujours été si sombre. Pourtant il s’assombrissait chaque jour davantage, menaçant de se transformer en rocher, depuis que sa fiancée la belle princesse Ruià avait déserté ses bras en reprenant ses voeux et ses promesses, ne laissant derrière elle qu’une lourdeur suffocante et tenace. Ne parvenant pas à l’oublier, il ne dormait plus, ne mangeait plus, passant ses nuits à chercher des réponses à ses « pourquoi? ». Pourquoi l’avait quitté. Sa peine était telle, qu’espérant la rattraper, il envoya un espion discret se renseigne sur le point de fuite de Ruià. Mais le messager revint avec une mauvaise nouvelle: la princesse était devenue reine d’un petit territoire s’étant allié le roi qui vivait en ces terres. Un roitelet, à dire vrai…! Qu’importe, Sombre perdit ses dernières couleurs.

Or, on racontait que quelque part au loin, une vieille femme à l’aspect effrayant et au coeur d’enfant connaissait toutes les réponses à toutes les questions du monde. Sombre, décida d’aller à sa rencontre et il quitta son château. Il partit, guidé par son cheval dont le galop résonnait à l’unisson des battements de son coeur. Ils parcoururent ainsi un long chemin et après de nombreuses nuits passées à dormir à la lune, sous les arbres ou dans les cavernes obscures, ils arrivèrent à la Grande Forêt. C’était une forêt très ancienne, dont les racines plongeaient jusque dans les plis de la mémoire du temps. Il faisait chaud ce jour là, les oiseaux et tous les animaux du jour s’affairaient mais, au moment où ils entrèrent dans la forêt, toute la nature se tut. Le cheval s’immobilisa et un long frisson parcourus son échine. Dans l’entrelacement des branches le soleil trouait des taches claires. Certains troncs se chevauchaient ou se collaient les uns aux autres. Le sol était recouvert de hautes végétations et aucun passage praticable ne semblait exister. Le prince fut obligé de descendre de cheval et de continuer à pied, s’enfonçant jusqu’à mi-cuisses dans les fougères, les ronces et les amas de feuilles mortes que les siècles avaient laissés là. Progresser dans la dense verdure n’était pas chose aisée. Il devait y consacrer toute son attention, si bien qu’il ne remarqua la grande clairière qu’en y mettant un pied. Les arbres avaient évité de pousser là. Un cercle parfait couvert d’une herbe verte et tendre formait un espace vide naturel, au coeur de la Grande Forêt. Sombre était si fatigué qu’il s’endormit à même le sol, là où sa tête et son corps étaient bien: entre la terre et le ciel.

Au beau milieu de la nuit, il fut réveillé par un bruit de grelots et ouvrant les yeux il vit passer un cerf monté par une jeune fille entièrement nueSombre ne bougeât pas. Arrivée au milieu de la clairière, elle s’arrêta et chanta : Demain, j’irais chez la vieille du bout du monde, à la grande fête du solstice d’été. J‘aurai une branche fleurie d’aubépine, irai nu pied, cheveux au vent dans le sillage des autres mystérieuses. Par ces signes désignée, me reconnaissant comme une invitée, elle me laissera entrer. Elle fit sept fois le tour de la clairière, puis le cerf bifurqua d’un coup net, disparaissant avec sa cavalière dans la noirceur de la forêt. Le lendemain le prince se mit en quête d’un buisson d’aubépine. Il avait décidé d’attendre le soir même, la femme au cerf dans la clairière et puis de la suivre jusque chez la vieille qui, il le sentait, était la vieille de terre et de vent qu’il cherchait. A la nuit tombée, il se tint embusqué dans les bosquets et attendit, déchaussé, une branche d’aubépine à la main, que la femme revienne. Voilà qu’elle était là, fredonnant ceci : Ce soir à la grande fête je vais rejoindre mes sœurs de mystère. Ce soir je rends visite à grande mère du bout de la terre. Elle fit sept fois le tour du cercle d’herbe et à nouveau le cerf bifurqua soudainement, alors le prince Sombre cingla les flancs de son cheval et se mit à suivre les suivre. Ils traversèrent ainsi des forêts, des plaines et des montagnes, ils sautèrent par-dessus les marais et longèrent des lacs et des rivières. Le cerf galopait si vite que Sombre se demanda si ses sabots touchaient réellement le sol. Ils arrivèrent près de l’océan. Grimpant une côte ils atteignirent un promontoire plat au milieu d’une montagne et là, la belle mystérieuse disparut. Son cheval écumant, frémissant, Sombre chercha longuement quelque chose qui lui indiquerait par où elle était passée; mais il eut beau écarquiller les yeux, il ne put la retrouvé.

Il s’allongea à côté de son cheval, emplis de tristesse, pleurant le sort amer qui semblait vouloir le frustrer éternellement. Alors, à travers ses larmes, le prince entendit des rires. Il se leva, cherchant sur le promontoire désert d’où ils pouvaient provenir. Une musique douce et lente arriva jusqu’à lui, émanant d’un terrier d’où une lumière jaillissait dans la nuit. En se penchant par l’ouverture, il vit des femmes de tous les âges, de toutes les tailles et de toutes les couleurs qui faisaient la fête. Il y avait une grande table dressée. Au bout de celle-ci, une vieille femme était assise. Si vieille qu’on aurait pu penser qu’elle était née avec la terre et mourrait probablement avec elle. Ses longs cheveux blancs dénoués, étaient piqués de plumes, entourant un visage sculpté par les rides comme l’écorce d’un très vieil arbre. Il les regarda rire, danser et chanter, découvrant à chacun de leurs gestes à quel point il ignorait tout des femmes. Puis, un rêve fit vivre son sommeil. Il vit celle qui avait été sa fiancée, les traits déformés par la colère, hurler sur son époux. L’homme à chaque parole semblait se recroqueviller sur lui-même. Il le vit s’échapper afin de s’enfermer dans la plus haute tour de son château et là, maudire le jour où la belle figure de sa femme l’avait induit en erreur, le trompant sur son caractère véritable qui était exécrable. Depuis leurs épousailles, elle ne lui avait pas laissé une seconde de répit, passant ses journées à crier, lui interdisant l’accès à sa chambre la nuit. Le prince Sombre fut tiré de sa rêverie par une douleur précise dans le bas du dos. C’était la vieille du bout du monde qui tapait sur lui de toutes ses forces avec sa canne. Quand elle le vit éveillé, elle lui dit: – Qu’es-tu venu faire ici? Qui es-tu? Pourquoi as-tu suivi Nemeta jusque là? Tout en disant cela, elle continuait à le frapper de son bâton.         – Je t’en prie arrête, dit le prince. Je suis le prince Sombre et j’ai suivi la femme de la clairière afin de te rencontrer, car on raconte que tu sais les réponses à toutes les questions du monde. La vieille de terre et de vent le considéra longuement, puis fermant à demi un oeil elle dit : Très bien, je t’écoute que veux tu savoir? Alors le prince voulut lui demander pourquoi sa belle l’avait quitté mais ce furent d’autres paroles, qui, malgré lui, sortirent de sa bouche : – Dis-moi où se trouve enfermée la fille de l’Empereur de Clarté? – Je vois que ton âme comprend plus vite que ton esprit, dit la vieille en riant malicieusement devant l’air abasourdis du prince, qui ne contrôlait décidément plus rien. A ta première question un rêve t’a déjà répondu que ce qui peut d’abord sembler comme un grand malheur, peut se révéler une bénédiction! M’as-tu apporté quelque chose en échange de la réponse que je vais te donner? Le prince sans dire un mot, lui tendit la branche d’aubépine. – Bien, dit-elle, il me faut encore une goutte de ton sang et un de tes cheveux. Tout en disant cela, elle sortit un petit couteau de l’une de ses poches et en piqua le pouce du prince jusqu’à ce qu’une minuscule goutte de sang émerge de sous la peau. Elle la fit tomber sur une fleur d’aubépine puis, maniant le même couteau, elle coupa l’un des cheveux de Sombre qu’elle attacha à l’aide d’un seul nœud à la branche. – A présent écoute bien mes paroles et qu’elles se gravent dans ton esprit, car je ne les répéterai pas. La belle abandonnée, fille de feu l’Empereur de Clarté, a été, par son oncle mauvais, enfermée dans une grotte, qui est dans la falaise des fantômes en peine. Pour la trouver, tu dois marcher sans jamais t’arrêter sur un sentier qui part du levant et le long duquel des fleurs poussent même en hiver. Tu marcheras pendant trois lunaisons avant d’arriver à la falaise dont je t’ai parlé. Là est la princesse, elle attend sa délivrance. Un Dragon bleu garde l’entrée de la grotte, mais attention il ne faut surtout pas le tuer. Il te posera la question suivante: « quel est le nom de la fille de Clarté ». Je n’ai pas la réponse à cette question-là. Maintenant va et que tes songes éclairent ta route. Ayant dit ces paroles, elle asséna une dernière fois une volée de coups à Sombre, mais cette fois à l’aide de la branche d’épineuse aubépine et elle disparut en emportant son cheval.      – Car, dit-elle, c’est seul que tu dois aller!

Sombre longeât la côte. Il y croisa une femme étrange. Elle était assise sur un rocher, ses pieds plongés dans la mer et elle pleurait racontant à l’eau une histoire si triste que les flots eux-mêmes semblaient en peine. Voici ce qu’elle disait : – Pourquoi, a-t-il fallut que chacun n’ait qu’un seul vrai amour? Mon amour est mort au printemps de notre union, depuis je ne trouve plus de plaisir en rien, tout me semble fade et insipide. Depuis je me lamente sans cesse, priant que mon âme aille rejoindre celle de mon bien-aimé. Chaque jour je viens ici, sur ce rocher et je mêle mes larmes à celles de la mer en priant qu’on me libère du poids de mes promesses d’éternité. Sombre essaya de lui parler. Était-il sur la bonne route pour atteindre le levant? Mais elle ne le voyait même pas, étant trop absorbée par elle-même.

Il marcha longtemps avant de parvenir là où le soleil se lève. Il trouva le sentier bordé de fleurs et le suivit. Il avança sans jamais s’arrêter et, la deuxième lunaison écoulée, les pieds ensanglantés, il s’écroula au pied d’un cyprès. Or cet arbre était la demeure d’une jolie petite fée verte qu’on appelait Morwenna et à qui l’on avait donné en guise de coeur, un coeur d’artichaut. Elle n’avait de cesse de tomber follement enamourée de ceux qui entre ses racines se couchaient. Sombre avait perdu sa belle figure. Une barbe hirsute lui mangeait le visage, ses vêtements tombaient en lambeaux et il était si maigre qu’on voyait ses pommettes saillir sous la peau tirée de son visage. Pourtant Morwenna tomba immédiatement amoureuse de lui et descendit de son arbre afin de le ramener à la vie. Elle prit délicatement la tête du prince dans ses mains, la posa sur son sein et se mit à le bercer doucement, tout en chantant une ritournelle magique. Il guérit et Morwenna veilla le prince la nuit et regagnait son arbre le jour, car les fées qui vivent dans un arbre sont si liées à lui qu’elles ne peuvent en être éloignée trop longtemps, si on l’abat elles meurent aussi. Sombre aimait la fée. Les jours se suivaient et se ressemblaient tous aux côtés de la jolie petite fée verte et Sombre sentait qu’il devait reprendre sa route. Mais comment faire pour la quitter sans la blesser? Alors voilà, un jour n’y tenant plus, il prend les mains de Morwenna dans les siennes et lui dit ceci : – Toi qui m’as sauvé la vie, je te dois tout, tu es comme une seconde mère pour moi. Tu m’as nourri de la chaleur de tes yeux et de ton sourire. Je t’aime et ne veux te briser. Il me faut pourtant te dire la vérité: je suis parti de chez moi après un grave chagrin d’amour, cherchant à comprendre comment, celle que j’aimais déjà comme ma femme avait pu ne pas éprouver le même sentiment que moi. A présent, je veux aller délivrer la fille de l’Empereur de Clarté. Je vais partir aujourd’hui, si je suis victorieux je repasserai par ici et nous terminerons notre vie ensemble. La fée resta longtemps silencieuse, puis elle dit : – Non mon prince, tu ne reviendras pas vivre auprès de moi, je te le défends. J‘ai encore de nombreuses feuilles à mon coeur d’artichaut. Pars sans regret, je ne te pleurerai pas longtemps, car je ne suis pas de celle qui n’aime qu’une fois. J’ai tant d’amour à donner et toi tu m’aimes comme une mère. Je ne veux pas de cet amour-là. J’attendrai donc dans les bras de mon arbre qu’un homme vienne qui m’aime telle que je suis, parfois enfant, parfois femme, parfois grand-mère et parfois jeune fille. Je te donne cette bague, elle a le pouvoir de faire apparaître n’importe quel objet que l’on désire. Si tu veux exaucer les attentes de quelqu’un d’autre que toi, oriente la pierre vers cette personne. A présent va-t-en, beau prince.

Sombre reprit donc son chemin. Certaines nuits sur la route, il songeait à Morwenna. Le paysage changeait maintenant de façon alarmante. Les arbres se faisaient rares, les cailloux plus saillants et le sable envahissaient progressivement tout l’espace. Il arriva dans une vallée étroite, avec des versants verticaux qui la surplombaient de si haut, qu’elle était presque entièrement plongée dans l’ombre. Lentement, avec respect, car il était très impressionné par la taille des pierres, il avança en son sein. Ce n’était qu’un désert de vide et de cailloux qu’habitaient les cactus, poussant aux rares endroits que la lumière atteignait. A la nuit tombée, il entendit, semblant venir d’assez près, deux personnes entrain de se disputer. Un couple marchait, tout en se chamaillantL‘homme était massif, avec des cheveux noirs en broussailles et une barbe brune qui lui couvrait le buste. La femme était petite et très grosse, elle devait presque courir pour garder le même rythme que son compagnon. Tout en halletant elle lui criait régulièrement dessus. Ils se disputaient à propos d’un plat qui avait été trop épicé et l’homme accusait la femme de l’avoir fait exprès. – Tu sais que je ne supporte pas le piquant, disait-il, tu as trop arrosé le plat, afin de manger plus que moi. Toi et le dragon bleu, vous vous êtes bien empiffrés. Mais moi je n’ai presque rien pu avaler! La princesse non plus n’a pas l’air d’aimer le piquant, dit-il soudain, en se tournant vers la femme. Ils s’éloignèrent en ricanant, semblant réconciliés. Le prince, se souvenant des paroles de la vieille de terre et de vent, sut qu’il avait atteint le but de sa quête. Le coeur léger il continua sa route dans la vallée désertique. Il arriva à une falaise où s’achevait le canyon dans lequel il marchait. Alors, s’installant entre deux rochers, il sortit la bague magique et demanda un feu et un plat de viandes très épicées. Il n’attendit pas longtemps avant d’entendre un sifflement. L’air sembla vibrer et un dragon entièrement bleu se posa à côté de lui. – Qui es-tu? dit le dragon. Que viens-tu faire ici? Ne sais-tu pas que ce lieu est interdit à tous et que j’en suis le gardien! Tout en disant cela, il louchait vers la viande qui finissait de cuire. – Je suis le prince Sombre et je viens délivrer la fille de l’Empereur de Clarté. Le dragon, sans faire attention à lui, fixa la viande et une goutte de salive coula le long de son museau. – Bien, bien, ce que tu cuisines sent rudement bon! Alors le prince, en souriant discrètement, invita le dragon à partager son repas. Celui-ci, ravi, s’installa près du feu et parla au prince de sa vie solitaire le long de la falaise des fantômes en peine. – Je n’ai pas de mains qui me permettraient de me cuisiner moi-même les plats que je préfère. Mon patron n’a pas voulu m’offrir de cuisinier, car si je grossis trop, je ne pourrais plus emprunter l’escalier qui conduit à la grotte où est enfermée sa nièce. Tout en parlant, il ingurgitait rapidement tout ce que le prince lui proposait. Enfin le dragon s’endormit et le prince sans faire aucun bruit chercha l’escalier dont il lui avait parlé. Au détour d’une anfractuosité, il sentit la première marche d’un escalier taillé à même le roc. Le prince commença à descendre à flanc de falaise. Des fantômes errants s’accrochaient à lui en gémissant. Ils s’asseyaient sur sa tête, lui tiraient les cheveux, murmuraient des malédictions en sifflotant dans ses oreilles. Un enfant surtout, lui rendait la descente pénible, il ne cessait de pleurer et ses larmes glacées coulaient dans le cou de Sombre. Les marches étaient si étroites qu’il devait faire très attention à poser les pieds au bon endroit, sans quoi il serait tombé dans le vide. La falaise ne semblant pas avoir de fin, peut-être aurait-il chuté jusqu’à la fin des temps, s’écrasant finalement sur le sol des années plus tard, devenu vieillard. Il aperçut, entre deux fantômes, la dernière marche. S‘engageant à l’intérieur de la grotte, il entendit une voix de femme qui chantait un air doux et désespéré, si triste qu’il dut s’arrêter un moment : malgré lui, ses yeux étaient aveuglés de larmes. Elle chantait la mort de ses parents et la méchanceté d’un oncle qui, voulant régner seul et sans partage, l’avait enfermée là. Elle chantait pour tous ceux qui meurent de mal d’amour, elle chantait pour chacun des esprits damnés de la falaiseElle chantait le soleil, la lune et les étoiles. Le prince Sombre s’avança, guidé par la voix si belle et il déboucha dans une caverne où coulait une rivière. La pièce était vide à l’exception d’un lit, une jeune fille était assise, les yeux fermés sur son chant ininterrompu. Le prince s’avança au bord de la couche et toucha doucement l’épaule de la jeune fille. Effrayée, elle ouvrit des yeux étonnés. – Je suis le prince Sombre, je viens te délivrer. La jeune fille le regarda, puis elle dit: – Où est le dragon mon gardien, tu l’as tué? – Non, je l’ai si bien nourri qu’il dort profondément! Ils parlèrent longuement. – Je vais te dire quel est mon prénom, sans quoi tu ne le devineras jamais. Je m’appelle princesse Pili. – Je reviendrai te chercher, soit en certaine, dit le prince. La princesse sourit et la caverne sembla comme illuminée.

L’ascension fut encore beaucoup plus pénible que la descente. Il arriva enfin près du dragon, qui ronflait encore. S’allongeant près du feu, il fit semblant de dormir. Le dragon ouvrit les yeux avec les premiers rayons du soleil et, croyant Sombre endormi, il le secoua brusquement. – J’ai terriblement bien mangé. Il y a longtemps que je ne m’étais pas tant régalé. Dis-moi ce que tu es venu faire ici, on ne rencontre pas souvent de voyageur dans cette région.       – Je suis venu délivrer la fille de l’Empereur de Clarté, répondit le prince. – Ah ah, tu sais sûrement alors qu’il te faut répondre à une question très difficile, dont je suis le seul à connaître la réponse. Voyons, dis-moi donc quel est le prénom de la princesse que je retiens prisonnière? Comme tu m’as si bien nourri, je te donne trois chances de trouver la solution. Le prince fit semblant de réfléchir, puis il dit : – Je crois que son prénom doit être Lila. Le dragon s’esclaffa  : – Non, non tu n’y es pas. Je te préviens si tu ne trouves pas, je te dévorerai. Le prince sembla à nouveau se plonger dans ses pensées : – Peut-être est-ce Mina? – Non, non, tu n’y es pas,  le dragon se pourléchait les babines, humant l’odeur de bonne chair qui émanait du prince, en faisant frémir ses naseaux. Cette fois, c’est ta dernière chance, après quoi je te croquerai. -Très bien, alors le dernier prénom auquel je pense est Pili. Je crois qu’elle doit s’appeler la princesse Pili, dit le prince. Le dragon bleu fort étonné dit : – Je ne sais pas comment tu as fait, mais tu viens de me donner la bonne réponse. Reste là et attends- moi. D’un grand coup d’ailes il s’envola et revint quelques instants plus tard avec la princesse sur son dos. – Voilà la princesse, prends soin d’elle, ses chansons si belles me manqueront beaucoup. Sombre tira la bague magique de sa poche et dirigeant la pierre vers Pili, il dit : – Que son premier désir soit exaucé. Deux magnifiques chevaux apparurent, leurs crins tressés de fleurs multicolores. – Que c’est beau, dit la princesse. C’est étrange, dans la grotte, je n’avais pas remarqué que ton vêtement était si coloré, ni tes cheveux si lumineux. Alors le prince vit qu’il avait à nouveau ses belles couleurs et une joie profonde le submergea. Pour la première fois depuis des lunes il sourit et son sourire fit si plaisir à la princesse, qu’il lui donna à elle aussi des couleurs magnifiques. Ils montèrent à cheval et firent le voyage en sens inverse. Seulement, une chose étrange se produisit, tout les lieux naguère désertiques et si tristes qu’ils traversaient ensemble, se couvraient de fleurs et de verdure. On raconte qu’ils vécurent heureux et que le prince redevint l’homme Solaire qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être.

Voici l’histoire que le Vent de l’ouest m’a contée un soir d’orage estival, je la rends à présent au souffle premier, afin qu’elle puisse être attraper par une autre oreille que la mienne et renaître éternelle et libre.

Auteur : Alice Schuermans


femme libre

Conte Deuxième :

La centaine d’ amour

Ne baissez pas les yeux, ne fermez pas vos oreilles, garder le coeur grand ouvert à cette histoire vermeille, car on le dit : maudit ceux qu’elle laisse sans émois.

Le Roi était bien malade. Il avait aimé tant de femmes sans les aimer vraiment, que son coeur s’était asséché. Elles s’étaient pâmées devant lui, damnées pour lui; il avait pris tous leur amour sans rien leur laisser, comme certains boivent la bouteille jusqu’à la dernière goutte sans pourtant connaître l’ivresse. Aujourd’hui, au mitan de sa vie, il ne lui restait plus que quelques gouttes de sang, qui peinaient à nourrir son corps décharné. Alors, le médecin de la cour eut vent d’un remède miraculeux et comme seul un miracle pouvait peut-être encore redonner pleine vie au Roi, il décida d’en faire usage. Le Roi avait certainement eut beaucoup d’enfants, mais seuls quatre d’entre eux étaient légitimes : deux garçons et deux filles. Le médecin les envoya chercher l’abeille bleue, dont le miel, seul, pouvait sauver le roi. Une abeille bleue, on a jamais vu ça! Le Roi méritait-il un miracle comme cela?

Le premier fils quitta le château au triple galop, mais il n’alla pas loin, à peine au monastère le plus proche. Pourquoi aurait-il sauver ce père, qui avait abandonné sa mère enceinte, la poussant dans une mélancolie tellement profonde, qu’elle était morte peu de temps après sa naissance. Il s’établit dans le monastère, y devins moine et pria pour le repos de l’âme de son père ou pour sa damnation éternelle, qui peut le dire? Le deuxième fils quitta ensuite le château. En chemin, il se fit tout voler et fut vendu par des marchands d’esclave à une veuve qui en fit son valet. Et voilà pour les fils. Quand aux filles du roi, elles partirent ensemble et, ne sachant trop où chercher l’abeille bleue, elles cheminèrent au hasard du chemin. Mais y à t’il vraiment des hasards?! Elles arrivèrent un jour à une source qui émergeait de sous un gros rocher moussu. Quel lieu magnifique et apaisant et comme le petit clapotis de l’eau si frais et rieur donnait envie d’y goûter! À peine eurent-elles bu une gorgée d’eau, qu’une fée apparut. – Jolies demoiselles, que faites-vous si loin des vôtres? Les jeunes filles racontèrent leur histoire et la fée voulus savoir qui était le roi leur père. Mais quand les deux soeurs eurent prononcé son nom elle se mit en grande colère et dit : – Lui! Il m’a volé ma ceinture autrefois! Non, je ne l’aiderait pas! Elle continuèrent leur voyage, mais chaque rencontre refusait de les aider dès que le nom du roi sans amour était prononcé. Elles parvinrent à un lieu joli en pleine nature, peuplé de gens heureux et qui leur proposèrent de rester là pour y vivre en paix. L’aînée dit alors : – Je reste ici. Il semble que notre père ne mérite pas d’être sauvé. La plus jeune continua seule et fini par arriver, on ne sait comment, à la ruche de l’abeille bleue. – Bzzzzzz Bzzzonjour belle fleur, dit l’abeille. La jeune fille lui demanda un peu de son miel. – Il te faudra faire saigner l’un de tes doigts en échange, dit l’abeille. Et pour qui est mon doux miel? Quand l’abeille entendit le nom du roi, elle exigea que sa fille se coupe la main toute entière. – Bzzzzz tu fait erreur princesse. Le roi n’aime personne. Ni toi, ni les autres. Il est trop occupé à apprendre à s’aimer lui-même! La princesse retourna au château de son père, le roi prit le miel, guérit et reprit sa vie exactement comme avant. Car la guérison est un chemin initiatique en soi, celui qui miraculé, n’a nulle part au miracle, continue sur sa voie sans issue. La main coupée de sa fille lui était un constant reproche. Il chargea donc un chasseur d’aller la perdre en forêt et, afin d’être certain qu’elle ne retrouverait pas le chemin du château, il lui ordonna de lui crever les yeux! Ainsi fut fait! La princesse aveugle et n’ayant plus qu’une main, se cognait aux arbres, trébuchait sur chaque caillou, chaque racine du chemin. Elle était enfermée dans une nuit noire. Elle faisait peine à voir, aussi les êtres magiques qui peuplent la nature, la dirigèrent-ils discrètement. Après bien des errements, abandonnant tout espoir, elle se laissa tomber par terre et atterrit au beau milieu d’un champs de fleurs. Elles étaient sous la garde du jeune homme le plus doux qui existait en ce temps là. Bien sûr, c’était il y à longtemps, car aujourd’hui tous les hommes sont doux! Ce garçon avait une mère qui était guérisseuse et qui, à force de soins et d’onguents, réussi à cicatriser les yeux de la princesse. Le jeune homme lui apprit à laisser pousser, à chérir, à soigner, à récolter les fleurs et ils s’aimèrent. Elle fut enceinte de tout leur amour et, tel l’enfant qui mûrissait dans son ventre, sa main coupée repoussa. Il advint que la reine des abeilles bleues eut besoin du nectar d’une des fleurs magiques. Oui, je ne sais pas si je l’ai dit : ces fleurs étaient magiques, divines, miraculeuses. L’abeille reconnut la jeune femme et décida de lui offrir un peu de son miel bleu afin de faire revivre ses yeux. La princesse maintenant femme put voir de nouveau. Étais-ce la magie du miel ou la transformation intérieur de la jeune fille en femme, de fille de son père, en femme qui s’aime, toujours est-il que ses yeux autrefois gris renaquirent bleus. La jeune femme vécu en paix, ne se préoccupant jamais plus de ce père sans amour.

Tel un pommier, je te plante mon conte, pour que tu croisse grand et beau. Sans brûler que tes bois brillent d’une lumière d’incendie et éclairent la route des voyageurs égarés sur le chemin de leur propre vie.

Auteur : Alice Schuermans


chouette4

Conte troisième :

La goutte rose

Un jour de pluie, je m’étais réfugiée au coin du feu d’une auberge isolée, au détour d’un pic montagneux. L’orage m’avait surprise en pleine ascension et, courant au hasard en évitant arbres et rochers, j’étais tombée nez à nez avec la porte de l’Auberge des Cimes. Une femme se chauffait déjà à l’âtre et après avoir bus une soupe bien douce, nous commençâmes à parler. C’est ainsi que, entre des considérations banales sur le temps et des anecdotes mystérieuses sur sa vie, elle me conta la légende que voici :

La Dame à la tour verte.

Ecoute donc passant, assied toi un moment, écoute ma voix racontant la légende qui me viens d’antan. Elle attend l’ouverture d’un cœur aimant, pour s’y nicher doucement. Tout près d’ici, dans un coin, un ravin ou une montée de cette profonde vallée, vie la Dame Verte. Sa demeure est une tour, si tant recouverte de plantes et de nids, qu’elle est devenue semblable à un pin. Tu l’à croiserais, au détour de la forêt, sans même la distinguer des arbres alentours. Les fenêtres de son dernier étage, son toit crénelé ou son unique porte sont devenues invisibles. Plus personne ne sait où elle se trouve, dans les replis dans la montagne boisée. Autrefois la Dame à commis une erreur (en étais-ce vraiment une?) et, se jugeant coupable s’est punie du port d’un masque ensorcelé. Masque de pluie – cheveux de bruine, chant de fontaine. Qui trouvera la tour et le peigne d’or, devra encore démêle un à un ses cheveux, sans les tirer, sans qu’elle en souffre. Avec patience, dénouer chaque nœud et avec le dernier, le masque elle pourra ôter. Alors, des yeux de la belle irradiera une lueur sereine et dans le pays, d’autres nœuds se dénouerons, rendant plus d’un ou d’une au bonheur du plaisir de rire. Et celui qui l’aura délivrée? Il sera aussi délivré des tristesses, des malheurs et de tout ce qui pouvait entraver sa destinée. L’histoire est finie. Dedans ton cœur qui replie ses pétales un à un autour d’elle : elle VIE. Prête lui donc parfois ta voix afin qu’elle fasse éclore le cœur d’un autre que toi. 

Nous allâmes nous coucher et le lendemain à l’aube, je m’éveillais. Il faisait beau, la nature encore luisante de pluie odoriférait – Vous voyez? Cela veux dire quand ça sent si bon qu’on deviens ces choses qu’on respire. Mon cœur me disait « cherche la belle, cherche la! » Ma tête me rappelais que je devais être rentré le soir même. J’écoutais…devinez qui? Et je rentrais chez moi. J’ai raconter maintes fois cette histoire et voilà qu’une fois encore elle là aujourd’hui, dis-je en regardant mon auditoire. Ma petite fille qui avait écouté perché sur les branches basses d’un bel arbre, dit alors : – Un peigne comme ça grand-mère? en me montrant un petit peigne en os sculpté de gouttes de pluies, qu’elle tenait dans sa main. Je l’ais trouver là, dans le tronc de l’arbre. Si le peigne existait c’était assurément celui-là. Bien que troublée, je tournais la trouvaille en dérision et la petite, s’en alla se coucher en me boudant. Le lendemain matin, quand je lui demandais de voir le peigne, elle me répondit : -La Dame de la tour l’a gardé. Elle m’a donné ça en échange. A son cou un pendentif en forme de goutte rose se balançait doucement.

La nuit d’Éléonore

-Mamy se moque toujours! Éléonore était fâchée et elle avait décider, une fois tous le monde endormi, de partir à la recherche de la tour verte. Elle pris un pulls, noua ses cheveux, mis ses chaussures et, résolument, s’enfonça dans la noirceur de la forêt. Comme elle avait un peu peur du noir, elle chantonnait un petit air de son invention : « Petite porte de la forêt, ouvre toi, s’il te plait, sur le soleil qui me plait .» Ce qu’elle ne savait pas c’est que cette chansonnette était magique : elle avait le pouvoir de lui faire découvrir la maison de la Dame Verte. Au bout d’un moment elle vit une lueur et la suivit jusqu’à un pin massif, dans le tronc duquel brillait une mince ligne de lumière. Alors une voix répondit à sa chansonnette par une autre ritournelle : « Tu m’a trouvée pousse la porte et viens peigné mes cheveux emmêlés. » Et c’est exactement ce que fit Éléonore. Toute la nuit elle dénoua un à un les cheveux de la Dame Verte. Un peu avant l’aube, la Dame put enfin enlever le masque de pluie. – Merci petite chérie! Merci ! Je t’offre un baiser béni afin que nul malheur ne puisse rider ton front rieur, elle l’embrassa sur le front et lui donna un pendentif. Porte-le à ton cou il attisera la joie, le rire, le dynamisme et l’espoir dans ton cœur, toutes choses grâces auxquelles tu traverseras les épreuves de la vie grandie, comme si elles n’avaient presque pas eut lieu. La Dame posa ses mains sur les yeux d’Éléonore et cette dernière se retrouva devant la porte de la maison de sa grand-mère.

Le chat s’étire, l’oiseau s’envole, le poisson nage et l’histoire s’en retourne dans les nuages.


©2012 Alice Schuermans

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